Là où tu ne pourras jamais aller
Le lieu de la mémoire
Marie Claude Landry
Le corps comme lieu de la mémoire manifeste et traduit à travers ses gestuelles, ses postures et ses manies un langage qui peut appartenir à des codes d’ordre culturels, familiales et identitaires. Il peut raconter des traumatismes, des blessures physiques et psychologiques. Relevant de l’inconscient, ces gestes automatistes révèlent une manière d’être au monde à la fois singulière et collective. Les mémoires du corps et de l’esprit sont par ailleurs, partielles, fragmentées, indistinctes et en mouvances perpétuelles. Cette idée traverse la pratique de l’artiste Naghmeh Sharifi qui s’y attarde dans sa nouvelle production picturale exclusivement à travers le pigment bleu. Le sens de ce choix est en partie inspiré d’un texte de Rebecca Solnit, écrivaine américaine qui s’intéresse entre autres, à la manière dont nous naviguons dans le monde dans son ouvrage intitulé A Field Guide to Getting Lost (2006) : « le bleu est la lumière qui s’est perdue […] la lumière qui se perd nous donne la beauté du monde, dont une grande partie est de couleur bleue ». Le bleu dans les peintures de l’artiste symbolise aussi la nostalgie. Si ses peintures sont de formats discrets, elles ont pourtant un effet de présence fort en raison du bleu qui rayonne et qui habite l’espace. La beauté et la nostalgie sont des sentiments universels dont nous parle l’artiste iranienne. De plus, les sujets représentés dans ses compositions ont des allures éthérées, fantômatiques et apparaîssent comme des songes. Cet effet tient à son procédé technique. Recouvrant entièrement la surface de la toile d’une couche de peinture monochrome, c’est par la soustraction que les images sont créées. Effectivement, l’artiste reproduit et réinterprète des images trouvées ou glanées dans des albums personnels en diluant la peinture qui s’estompe. De ces espaces en négatifs surgissent les formes qui composent ses peintures. Ainsi, même son procédé rejoue l’idée de la distanciation entre un événement et le souvenir qu’il en reste – modus operandi de la mémoire. Si les corps tendent à s’effacer, la mémoire quant à elle, persiste.